Tiens, le soleil se lève ! Dans quelques minutes, je pourrai voir le visage noble, les yeux sévères, le regard arrogant de Lui. Che Guevara, l’Homme de ma vie, enfin, de ma deuxième vie, celle que je mène collée entre deux photos de Doisneau, immobile mais toujours adorée. Sur le mur d’en face, il règne sur la salle d’exposition. Nous sommes là, roi et reine. Parmi les centaines des sujets qui font leur pèlerinage à notre royaume, la moitié vient pour s’agenouiller à mes pieds en bavant, l’autre pour le regarder en révérence. Moi aussi je le regarde, toujours en face de moi. Mais il ne me regarde jamais. Je ne suis même pas sûre qu’il me voie. Ses yeux—marrons ! comme il est beau—fixent un endroit loin de moi, malgré mon sourire séduisant, mes lèvres bien rougies, mes seins qui l’invitent, l’appellent de leurs voix si puissantes : « Venez, mon amoureux ! Venez me prendre dans vos bras ! Je suis à vous ! » Il ne me répond jamais. Il brise mon cœur.
Ca y est. Je peux le voir maintenant. Oh, mais pourquoi ne me regarde-t-il toujours pas ? J’étais sûre que le soleil accentuerait mes traits les plus beaux ! Je ne comprends vraiment pas : c’était facile de rendre fou plein d’hommes dans ma vie d’avant. J’avais des hommes influents sous ma commande ! Alors, pourquoi pas lui ? Je dois trouver un moyen !
Tiens, une admiratrice. Elle vient tôt, celle-là. Mais, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle m’arrache de ma prison hors de la vue de mon amour. Je vole dans ses bras ! Oh, arrêtez, arrêtez, ma sauveuse ! Là, c’est parfait ; je peux toujours le voir. Et je suis remplacée sur le mur. Merci de m’avoir époussetée ; maintenant je brille. Bougez, vous bloquez la vue de mon roi, mon Che.
Et finalement, elle me dévoile. Je me projette vers lui. Et ses yeux me brûlent. Il ne réagit pas. Mais oh, il me regarde ! C’est nous qui régnons, mon cher. Ne baissez pas les yeux ; je vous adore aussi.